Dans cette affaire de proxénétisme rapportée par le Parisien, personne n'est vraiment à l'endroit où on l'attend: ni les prostituées ni le chef du réseau que défendait Me Sarah Mauger-Poliak. Ancien policier diplômé en droit, il se révait avocat...
Paris : les mille vies du proxénète moldave «abîmé par l’argent et l’ambition»
«Anostru», le chef d’un réseau de proxénétisme moldave tenu par d’anciens policiers, s’est longuement confié ce mardi au tribunal judiciaire de Paris.
Par Denis Courtine
Un cou de taureau, des épaules de déménageur et des larmes plein les yeux. « Anostru » (« le nôtre » en moldave), le surnom dont est affublé ce chef de réseau, casse un peu le cliché du proxénète sans foi ni loi ce mardi en fin d’après-midi à la barre du tribunal judiciaire de Paris. Son avocate Sarah Mauger-Polak vient de lui parler de son fils et l’homme de 35 ans parvient difficilement à se contenir. Dans cette affaire, personne n’est vraiment où on l’attend.
Depuis la semaine dernière, quatorze personnes sont jugées pour avoir fait partie d’une organisation moldave très structurée qui générait des bénéfices importants. Entre 2016 et 2018, une vingtaine de jeunes femmes, au total, se seraient prostituées d’abord à Ajaccio (Corse-du-Sud), puis à Nice (Alpes-Maritimes) et enfin à Paris, notamment dans un appartement près du métro Alésia (XIVe).
Coup de théâtre ce mardi, une demi-douzaine de ces victimes se sont déplacées à l’audience le jour où le tribunal se penche notamment sur le cas d’Anostru. Cheveux décolorés et semelles compensées, ces femmes d’une vingtaine d’années sont venues pour soutenir le chef et ses lieutenants. Aucune n’a porté plainte dans le cadre de cette affaire.
À l’époque des faits, elles s’étaient, semble-t-il, proposées pour « travailler » dans le réseau. « Elles me demandaient elles-mêmes à venir en France », assure le chef, qui dirigeait dans un premier temps son organisation depuis la Moldavie. C’est dans ce pays qu’il recrutait également les « standardistes ». Ces femmes recevaient les coups de fil des clients qui répondaient aux annonces passées sur le site Internet Vivastreet. « Je communiquais les tarifs — 80 euros la demi-heure et 150 euros l’heure — et fixais les rencontres », a reconnu ce mardi l’une de ces intermédiaires.
Avant d’entrer dans la chambre, le client était contrôlé par un garde du corps. Plus haut dans la hiérarchie, les lieutenants s’occupaient des annonces ou tout simplement dirigeaient les affaires sur place. Parmi eux, d’anciens policiers, comme Anostru. « Tous ceux qui sont ici sont mes amis, lâche le chef de réseau. On travaillait dans la confiance. » Les rémunérations étaient établies par contrat. Pour chaque passe, la moitié revenait à l’organisation et l’autre à la fille. Sur la part de la prostituée, 5 % étaient reversés aux standardistes.
Officier de police, taxi, patron de night-club…
D’emblée, à la barre du tribunal, le patron de l’organisation assume : « C’était moi le chef du réseau. » Une activité qu’il connaît bien puisqu’il l’a déjà exercée à Moscou. C’est loin d’être son seul métier. De 2006 à 2008, après des études de droit, il exerce comme officier de police en Moldavie avant de partir en Russie où il devient chauffeur de taxi. Il se lance ensuite dans la sécurité puis reprend un night-club. Il se fait alors une réputation dans le milieu du proxénétisme. Sur place, il aurait été sollicité par les filles. Le président s’en étonne. « J’étais correct, je payais et je ne mentais pas, argumente le chef de réseau. Il y en a même que je ne voulais pas prendre parce qu’elles se droguaient ou buvaient. »
Le magistrat lit les commentaires des prostituées le concernant. « L’une d’entre elles dit qu’elle n’avait pas peur de vous et que vous n’avez jamais été violent », observe le président. Sarah Mauger-Polak, l’avocate d’Anostru, embraye : « Parfois, vous n’arriviez pas à imposer vos choix. » Et de raconter comment le chef de réseau se fait un jour envoyer promener par une des filles à qui il avait demandé de préparer à manger. « Même vis-à-vis du client, c’est toujours elles qui décidaient », confirme le patron. « Elles étaient libres de quitter le réseau ? » insiste l’avocate. « Oui, certaines l’ont fait et vivent désormais en France. Pour d’autres, on a même payé l’avion pour le retour. »
« Vous pouviez être agressif verbalement », lui fait pourtant remarquer le président. « On était vraiment des imbéciles avec ces filles, lui répond l’intéressé. À une époque de ma vie, j’étais fier de ce que je faisais. Aujourd’hui, j’en ai honte. » « Pourquoi auriez-vous changé ? » le reprend la procureure. « J’ai passé 43 mois en prison. J’ai eu le temps de comprendre qu’on pouvait être abîmé par l’ambition et l’argent. À cause de moi, la vie de mes amis est brisée. »
« Quand ses proches sont venus lui rendre visite alors qu’il était déjà sous bracelet électronique, il avait la possibilité de repartir au pays avec eux, souligne SarahMauger-Polak. Il a pourtant préféré rester en France pour assumer ses responsabilités. »
À peine sorti de prison, Anostru a pourtant failli être mêlé à une nouvelle affaire. Mais cette fois du bon côté. Dans le RER, vers Orly (Val-de-Marne) il est intervenu pour désarmer un homme qui menaçait des voyageurs avec un couteau. « Il a gardé ses réflexes de policier », sourit son avocate. Accusé de proxénétisme aggravé, traite d’êtres humains et association de malfaiteurs, il encourt dix ans de prison. Le délibéré est attendu à la fin de la semaine.